A l’approche de l’Aïd, les spéculateurs jouent un grand rôle sur le marché des ovins. De la capitale tchadienne N’Djaména jusqu’aux bourgades où se vendent les moutons, les prix explosent.
Plus qu’un jour avant l’Aïd el-Kébir (Aïd al-Adha) ou encore la fête du ramadan, dont le premier jour est fixé (probablement) au mardi 4 juin 2019, le consommateur musulman devra débourser une nouvelle fois une somme importante pour pouvoir acquérir un mouton, l’animal principalement égorgé au Tchad pour rendre hommage au sacrifice d’Abraham (Ibrahim). Et l’année 2019 ne déroge pas à la règle car, avant d’atterrir dans les assiettes des fidèles le jour de la fête, le mouton suit un long parcours où chaque acteur de la filière ovine prend sa marge financière. Résultat : les prix sont parfois vertigineux et ils le sont encore plus quand le musulman s’y prend tard le jour de l’Aïd. Et la spéculation, qui a le vent en poupe dans la filière ovine en cette période, fait également grimper les prix. Les spéculateurs et autres négociants y trouvent leurs comptes au détriment du consommateur. «J’étais hier à Linia à la sortie Est de N’Djaména pour me procurer un mouton mais le prix est vraiment élevé que je n’ai jamais cru», explique Ayouba. «A N’Djaména, on m’a demandé 50 000 F Cfa pour un mouton alors qu’avant la fête, le prix varie entre 25 à 30 000 F Cfa. Là-bas, j’ai trouvé le mouton à 38 000 F Cfa. Un peu moins cher qu’à N’Djaména mais pas comme en temps normal », ajoute-t-il.
La Tabaski, faut le rappeler, est un moment particulier pendant lequel les animaux entrent massivement en ville. L’afflux des bêtes, leur présence pendant plusieurs jours, voire les semaines précédant la fête, ainsi que leur sacrifice posent évidemment des problèmes d’ordres sanitaire et logistique en milieu urbain. Toute une organisation se met en place à ce moment-là pour transformer la ville en une vaste bergerie. Des marchés et des points de vente apparaissent partout en ville. «On distingue trois catégories de points de vente dans la capitale: les points de vente normalisés qui bénéficient d’un suivi des services vétérinaires, les points de vente autorisés sont ceux qui ont simplement reçu l’autorisation des services vétérinaires et de la municipalité sans bénéficier des équipements et du suivi et les autres points de vente, considérés comme informels, juste tolérés», informe un agent de la mairie rencontré au marché du bétail de Dembé.
Par ailleurs, en tant qu’événement populaire urbain majeur, la Tabaski est exploitée par des grandes entreprises commerciales comme support de communication. Les ressources mobilisées sont importantes. Par exemple, lors de cette Tabaski, les sociétés de téléphonie mobile distribuent des moutons à des fidèles gagnants des jeux concours ou encore à ceux qui appellent le plus en accumulant des points.
La maîtrise de la filière, facteur de la surenchère
La fête est d’abord une affaire de spécialistes, éleveurs et marchands de bétail, et ce sont eux qui en tirent les principaux bénéfices. Ils sont ceux qui maîtrisent la filière du mouton dans sa partie amont, les producteurs, et dans sa partie aval, les grands commerçants qui tiennent les marchés urbains. «Les stratégies développées par les uns et les autres font jouer différents paramètres: le nombre de bêtes qu’on souhaite vendre, le lieu de vente, le moment de la vente, la sélection des animaux. Pour une majorité d’éleveurs, il est préférable de vendre en une seule fois et dans un marché appartenant à leur espace de vie, le plus grand nombre d’animaux possible afin de réduire les coûts de transport, de gardiennage, de nourriture des animaux qu’engendrerait un déplacement à N’Djaména», explique Alhadji Moussa. Les stratégies des commerçants sont plus complexes. Selon certaines personnes, des options pratiquées par ceux qui disposent d’importantes liquidités consiste à acheter des troupeaux longtemps à l’avance, pendant les mois où les prix des animaux sur pied sont bas, afin de maximiser les marges à l’approche de la fête. «Les troupeaux doivent alors être confiés à des bergers, ce qui a moins de coût même si le risque de perte n’est pas négligeable. Aussi, ce n’est que quelques semaines avant la fête que la plupart des commerçants commencent leurs opérations Tabaski», renseigne Abdoulaye Hassan, sociologue. L’exercice est délicat et fait appel aux compétences spécifiques des professionnels du commerce de bétail, ajoute-t-il.
Plus qu’une fête religieuse, une occasion d’opportunités
Pour certains musulmans, pour la Tabaski, il ne s’agit pas d’acquérir n’importe quel mouton à bas prix, victime sacrificielle. Le mouton a aussi une fonction de représentation. «Le mouton acheté et attaché devant la maison, livré aux regards des voisins, devient le miroir de la situation financière du sacrifiant. Plus il est gros, plus il coûte cher, plus il est admiré: il est un statut symbole pour son acquéreur», explique Moussa Brahim. De l’autre côté de l’échelle sociale, le caractère ostentatoire de l’achat d’un mouton de Tabaski est encore plus marqué. On n’hésite pas à dépenser des sommes largement supérieures à 50 000 Fcfa et pouvant quelquefois atteindre un 100 000 Fcfa. Cette consommation haut de gamme suscite souvent l’admiration, parfois l’indignation, s’impose en tout cas comme modèle et contribue à faire évoluer le marché et par contrecoup l’offre. Et ce sont les démunis qui en pâtissent.
La préparation de la Tabaski plonge depuis une semaine l’agglomération N’Djaménoise dans une certaine effervescence. La fête constitue une opportunité pour une multitude d’acteurs économiques, petits ou grands, du secteur formel ou informel. C’est le moment clé de l’année pour les éleveurs, pour les marchands, mais aussi et de plus en plus, un moment important pour tout un ensemble d’acteurs économiques qui se déploient soit dans l’élevage et le commerce des animaux, soit dans des activités liées à l’événement. Tout est prétexte à créer une activité rémunératrice, tout service se monnaie, les besoins sont d’une diversité étonnante et l’imagination sans bornes. Outre les inévitables intermédiaires, pas toujours bienveillants ni bienvenus, certains s’improvisent gardiens de jour sur les foirails, d’autres sont laveurs de moutons (des jeunes et des enfants), d’autres porteurs de moutons (du foirail au véhicule de l’acheteur) ou transporteurs d’animaux à bord de charrettes pour le domicile de l’acheteur.
Sabre Na-ideyam
