Tribune

Hama Amadou, le chant du Cygne

Hama Amadou, le chant du Cygne 1

C’est dans un hôpital de Niamey que Hama Amadou a tiré sa révérence ce mercredi 24 octobre. Lorsqu’il rentre dans la fonction publique nigérienne en 1971, cet administrateur des douanes ne se destine pas à la politique. Il appartient plutôt aux premières vagues de ces hauts fonctionnaires qui ont pour mission de construire l’administration d’un pays indépendant depuis seulement onze années. À l’instar de nombre d’Etats africains, le Niger est indépendant depuis le 1er octobre 1960. Quatorze années plus tard, en 1974, le lieutenant-colonel Seyni Kountché renverse le premier président de la République, Hamani Diori. C’est le début d’une militarisation du pouvoir politique qui s’étendra sans interruption jusqu’à 1991. Car, après le décès de Seyni Kountché en 1987, le colonel Ali Saibou lui succède et dirigera le Niger jusqu’en 1993, période charnière pour l’histoire politique du Niger et de l’Afrique durant laquelle les partis uniques s’effondrent, les conférences nationales souveraines deviennent des constituantes, qui vont ouvrir la vie politique au pluralisme politique dans le cadre de processus démocratiques qui demeurent en cours.

Mahamane Ousmane est élu chef de l’Etat le 16 avril 1993 à l’issue de la Conférence nationale souveraine. Il dispose d’une majorité relative au parlement, ce qui limite considérablement sa marge de manœuvre pour gouverner sereinement le pays. En 1994, Mahamadou Issoufou, leader du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), quitte la coalition gouvernementale. Cette rupture contraint le président Mahamane Ousmane à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer les Nigériens aux urnes pour de nouvelles élections législatives.

Une carrière dense

À l’issue de ce scrutin, le chef de l’Etat sera contraint à une cohabitation. Hama Amadou sera désigné président de l’Assemblée nationale tandis que Mahamadou Issoufou sera nommé aux fonctions de Premier Ministre, chef du Gouvernement.

Hama Amadou fut au cœur des deux cycles politiques majeurs qui ont structuré la vie politique au Niger. Directeur de cabinet des présidents Seyni Kountché et Ali Saibou, il a su naviguer à bord du navire du parti unique comme du navire de la mouvance démocratique lorsqu’advint le multipartisme en 1991. Il fut opposé à Mahamadou Issoufou lors de la Conférence nationale souveraine tenue du 29 juillet au 03 novembre 1991 à Niamey. Deux décennies plus tard, en 2011, Hama Amadou apporta à Mahamadou Issoufou son soutien au second tour de sa présidentielle victorieuse. Mais ce fut de nouveau la brouille entre les deux hommes à la présidentielle de 2016, sur fond d’une histoire rocambolesque de trafic de bébés volés lors de laquelle l’ancien  Premier ministre  et ancien président de l’Assemblée nationale ainsi que son épouse, furent placés sous mandat de dépôt.

Morts et résurrection

De son parcours sur la scène politique nigérienne, l’on pourrait dire que celui de Hama Amadou a été jalonné de plusieurs vies et de plusieurs morts.

Parfois, vaincu ou défait, mais jamais politiquement enseveli. Il était de ces hommes politiques dont on pourrait dire que les défaites d’hier ou d’aujourd’hui sont le tremplin pour les batailles de demain, voire la motivation et le carburant des batailles à venir. Durant sa longue carrière politique, Hama Amadou a été aussi familier des palais et des ors de la République que des maisons d’arrêt ou du bannissement de l’exil. Suite au coup d’Etat du 27 janvier 1996 du général Ibrahim Baré Maïnassara, Hama Amadou exprime son opposition à ce coup de force. Sa formation politique le  Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara) matérialise son rejet du putsch en ralliant le Front pour la restauration et la défense de la démocratie (FRDD). Cet acte de défiance lui vaudra d’être interpellé par la police politique de son pays.  En 2008, incarcéré pour un chef d’inculpation de détournement de fonds publics, il bénéficie d’un non-lieu en 2012, après une mise en liberté provisoire en 2009. Comme Laurent Gbagbo et Pascal Affi N’Guessan dans la querelle autour de la présidence du Front Populaire Ivoirien (FPI) en Côte d’Ivoire, Hama Amadou est évincé de la présidence du MNSD-Nassara pendant sa détention. Mais fort de son aura et du capital de sympathie dont il jouit au sein d’une bonne frange de l’opinion nigérienne, il créera le 12 mai 2009 une nouvelle formation politique à vocation panafricaine, le Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine (MODEN/FA) qui parviendra à acquérir un ancrage national. En exil en France, Hama Amadou s’oppose à un troisième mandat de Mamadou Tandja dont il fut le Premier ministre durant sept ans et se félicite du coup d’Etat de Salou Djibo. En 2015, de nouveau incarcéré dans l’affaire du « trafic des bébés volés », il battra campagne du fond de sa cellule en 2016 et se qualifie pour le second tour contre le chef de l’Etat sortant Mahamadou Issoufou. Il sera de nouveau incarcéré le 18 novembre 2019 dans la même affaire pour purger une peine de huit mois de prison. En février 2021, suite à un mouvement de contestation des résultats de la présidentielle, il est de nouveau incarcéré puis libéré pour raisons médicales qui le conduiront de nouveau en France pour bénéficier de soins appropriés.

L’infamie du « trafic des bébés importés du Nigeria »

Avec la disparition ce jour de Hama Amadou, l’ex-chef de l’Etat, Mahamadou Issoufou exprime son chagrin et dit « pleurer son meilleur adversaire ». Les observateurs de la vie politique nigérienne voudraient bien accorder du crédit au chagrin de l’ancien chef de l’Etat. Il y’a toutefois lieu de souligner qu’il n’aura rien épargné à son « meilleur adversaire ». C’est grâce au soutien décisif de Hama Amadou en 2011, que Mahamadou Issoufou fut élu au second tour de la présidentielle et devint président de la République.

Mais en 2013, le parti de Hama Amadou, alors président de l’Assemblée nationale, rompt l’alliance politique qui le liait au parti au pouvoir du Président Mahamadou Issoufou, le  Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya). Il s’ensuivra un feuilleton judiciaire qui aura tout l’air d’une chasse aux sorcières, d’une instrumentalisation de la justice à des fins politiques contre l’allié politique d’hier, qui aura décidé de recouvrer sa liberté de pensée et son autonomie politique dans la perspective de la prochaine élection présidentielle. La même année, il est inculpé dans une procédure judiciaire pour « trafic de bébés importés » du Nigeria en même temps que sa deuxième épouse. Il s’exile en France et à son retour deux ans plus tard, le 14 novembre 2015, il est placé sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de Filingué, à 200 kilomètres de Niamey. Il sera condamné par contumace à un an de prison dans cette scabreuse affaire. Cette affaire n’entachera pas seulement la réputation et l’honneur de Hama Amadou. Sa vie familiale en sera profondément marquée et sa carrière politique aussi.

Cette accusation le suivra jusqu’à la fin de ses jours comme une ombre portée, tant et si bien qu’il n’aura eu de cesse de faire feu de tout bois pour rétablir son honneur.

Hama Amadou et la junte actuelle à Niamey

À  son retour d’exil de France suite au coup d’Etat militaire qui aura renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023, Hama Amadou, au sujet de la situation politique dans son pays et le déclassement de la France, n’a pas fait mystère de son agacement sur ce qu’il considérait alors comme une politique étrangère française en Afrique à géométrie variable, une sorte de deux poids deux mesures de Paris face aux coups d’Etat militaires, selon que les putschistes étaient dans les bonnes grâces de la France ou non. Dans un entretien au Mondafrique, s’exprimant d’un ton libre duquel semblait poindre une rhétorique souverainiste, il dresse sans détours et en toute froideur l’état d’esprit des opinions africaines, que certains éditorialistes, diplomates et hommes politiques en France considèrent comme un sentiment anti-français : « Les Nigériens n’ont aucune haine envers la France et envers les Français (…) S’il s’agit des intérêts de la France, le Niger n’a pas remis en cause, jusqu’à présent, les accords sur l’exploitation de l’uranium. Il n’a rien remis en cause. Il a seulement exprimé sa volonté de voir partir les bases françaises ».

La liberté de ton de Hama Amadou est dans la juste continuité de ses prises de position antérieures sur les relations France-Afrique. À cet égard, on peut lui faire crédit d’une réelle cohérence.

Hama Amadou, le Niger, la France 

Hama Amadou n’a pas attendu la prise de pouvoir actuel des militaires à Niamey pour exprimer son souhait de voir advenir une refondation des relations entre la France et son pays. Déjà, en 2011, il estimait urgent et nécessaire de revoir la coopération entre les deux pays. D’une part en raison de l’insupportable déséquilibre qui caractérise cette relation bilatérale et qui n’a que trop duré, d’autre part du fait d’une mutation générationnelle profonde telle que la jeunesse nigérienne, comme la jeunesse africaine dans d’autres anciennes colonies françaises, ne comprennent pas que le logiciel des relations entre ces deux pays soit demeuré le même depuis l’accession du Niger à la souveraineté nationale et internationale : « Il n’est pas possible à long terme de continuer à avoir des relations dans lesquels l’un des partenaires gagne au détriment de l’autre. Je pense notamment à l’exploitation de l’uranium du Niger qui est réalisé depuis quarante ans par une société française, qui sert beaucoup les intérêts économiques de la France, mais dont l’exploitation n’a eu quasiment aucun impact financier sur le Niger, qui en est pourtant le propriétaire légitime. Il y a un ajustement d’intérêt, un rééquilibrage, à faire pour que la coopération soit profitable aux deux parties. Ce sont des choses que les plus jeunes, qui ont moins d’attaches sentimentales avec la France, vont de plus en plus mettre en relief, ce qui pourrait causer des problèmes. Il faut donc réajuster tout cela avec la France avant que certains ne veuillent les faire partir au bénéfice d’autres investisseurs étrangers »[1].

Dans le paysage politique nigérien, Hama Amadou n’était pas seulement une présence, c’était aussi une voix dont l’écho continuera de porter après sa disparition.

Éric Topona Mocnga, journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle, spécialisé dans les questions politiques et géopolitiques en Afrique et dans le monde.