Dans une cérémonie haute en couleur, d’auto-persuasion et d’autocongratulation le 7 juillet 2023, la « task force pétrole » de la présidence de la République, louait par la voix de Gali Ngoté GATTA lui-même, le génie visionnaire et patriotique du Président de la Transition dans un optimisme enchanté et mâtiné de béatitude. Cette célébration pour le moins lunaire, défie la prudence et la réserve que conseillent les tables de la science en matière de prévisions économiques et de résultats opérationnels en ce qui concerne l’exploitation des actifs nationalisés. Mais elle l’est aussi parce que le fin mot de l’instance arbitrale du contentieux COTCO avec Savannah est encore loin d’être dit et que par ailleurs, le pays n’a pas encore payé le premier centime, des centaines de milliards de FCFA de l’indemnisation de la nationalisation des actifs pétroliers de Doba. Des indemnisations que le pays ne pourrait honorer sur ses seules ressources propres et dont le principal du montant augmente chaque jour qui passe, de même que les intérêts poursuivent leur multiplication des petits.
Dans une précédente tribune dans Ialtchad en deux volets : « ACTIFS PÉTROLIERS, POISON D’UN PATRIOTISME DE L’ÉMOI », nous livrions une analyse de l’hérésie à la fois économique, juridique et stratégique de l’opération cavalière de nationalisation des actifs pétroliers de Doba. Depuis, il s’est tenu la cérémonie précitée de l’hubris, mais est aussi tombée l’ordonnance pré-arbitrale de la CCI-CA de Paris dans le volet du différend Savannah contre l’État tchadien à propos des droits de celle-ci dans COTCO. Certes, il ne s’agit que d’une décision conservatoire, c’est-à-dire, d’une décision qui gèle, fige ou suspend en l’état (statut quo ante), la situation des parties (droits, obligations, qualité, intérêt etc…) à un litige pour éviter une évolution irréversible en raison soit de l’urgence, soit du préjudice subi et de son aggravation, en attendant un examen approfondi, autrement, une appréciation plus poussée des faits et des arguments respectifs des parties.
Même si par principe une ordonnance avant dire droit ne préjuge pas du jugement au fond, elle donne néanmoins, par une analyse sommaire, des indications certes sibyllines, mais assez éloquentes de la réception, de la sensibilité et des prémices de la conviction du ou des juges des référés au regard de la contestation, et donc des chances de succès dans le procès à venir de chacune des parties.
Ainsi, en l’espèce, Savannah dont le Tchad affirmait avec force, commentaires et publicité qu’elle n’a plus la qualité d’actionnaire de COTCO en raison de la loi nationalisation des actifs pétroliers, a pourtant été déclarée recevable par l’ordonnance pré arbitrale à agir en cette qualité. Ceci veut dire que Savannah reste et demeure jusqu’au dénouement du procès au fond, belle et bien actionnaire à hauteur de 41, 06 % du capital de COTCO. Par suite, l’ordonnance fait droit à quasiment toutes les demandes de Savannah tendant, notamment à :
– Suspendre les effets des décisions prises à l’assemblée générale de COTCO à Paris le 24 mai 2023 : concrètement la décision « bloque » d’une part, la révocation des administrateurs de Savannah, décidée à l’occasion de cette assemblée ; elle rétablit ainsi leur légitimité en tant qu’administrateurs de COTCO. Inversement, l’ordonnance « bloque », la nomination des administrateurs du Tchad dans COTCO, opérée à cette assemblée. Très clairement, les administrateurs nommés par le Tchad depuis le 24 mai 2023 ne peuvent plus siéger au conseil d’administration de COTCO jusqu’à la décision au fond.
– Suspendre les résolutions du conseil d’administration du 4 juillet 2023. L’ordonnance décide d’un côté de « bloquer » la révocation des dirigeants de COTCO nommés par Savannah. De l’autre côté, elle « bloque » les dirigeants de COTCO nommés au titre du TCHAD, soit les actuels PCA, le DG et la DGA. Ainsi les dirigeants nommés par le Tchad ne peuvent diriger et représenter COTCO, ni convoquer un Conseil d’administration et encore moins une assemblée générale jusqu’à la décision au fond. Ceux nommés par Savannah sont réinvestis dans leurs prérogatives de dirigeants de COTCO, tels qu’ils étaient avant l’assemblée générale du 24 mai dernier, et ce jusqu’à la décision au fond.
– Interdire au Tchad de se présenter comme nouvel actionnaire majoritaire de COTCO.
Mais, inversement, la sentence pré arbitrale a rejeté toutes les demandes du Tchad.
Bref, en l’état du précontentieux, c’est une cinglante bérézina de la « task force pétrole ». Ce verdict aurait prêté à la franche rigolade au regard de l’indécence de la jubilation et de la fanfaronnade de la « task force » si ce n’est les millions, voire des milliards de FCFA d’honoraires et de notes de frais engloutis sur le dos du contribuable tchadien par autant d’amateurisme doublé d’affairisme.
En effet, comment les crânes d’œufs du Palais Rose, du Gouvernement et leurs conseils ont pu s’imaginer qu’une loi domestique tchadienne (loi de la nationalisation des actifs pétroliers) puisse avoir effet d’extranéité pour autoriser une application aux biens relevant de la juridiction d’un autre État en l’occurrence celui du Cameroun en ce qui concerne les droits dans le capital de COTCO ? C’est la quadrature du cercle qu’ils devront désormais résoudre pour convaincre le tribunal arbitral du bon droit de la prétention du Tchad à dénier la qualité d’actionnaire de COTCO à Savannah. Et il va leur falloir pour une fois travailler et se creuser les méninges. Mais il y a de raisons d’en douter tant ils ont pris goût à la paresse et à la facilité en raison de l’obséquiosité et de la servilité de tous les contre-pouvoirs (justice, parlement, médias, la majeure partie de la classe politique et des organisations de la société civile, les chefs traditionnels, etc.), à plutôt passer les plats et même anticiper les désirs et états d’âme, naguère du monarque Deby père et aujourd’hui du Prince éponyme et de leurs affidés.
L’ordre juridique international n’est pas soluble dans le droit tchadien et encore moins dans les oukases et les forfaitures du régime. Et il est vain de plaider encore une fois, après le premier échec de janvier, l’incompétence de la CCIP-CA comme s’y sont maladroitement pris la « task force pétrole » et ses conseils, dès lors que le Tchad est bien signataire des statuts de COTCO de 2016 stipulant la clause compromissoire fondant la compétence de cette juridiction arbitrale pour connaître de tout différend né de l’application desdits statuts.
Mais au-delà du verdict lui-même, le communiqué du 31 juillet du ministre du Pétrole et de l’Énergie rendant compte de la sentence arbitrale, n’a d’égale que les modèles orwelliens de communication dans la « Ferme des animaux » ou « 1984 ». En effet, dans son communiqué, le ministre fait fi et sans vergogne du dispositif pourtant implacable de la décision pour le Tchad, pour ne proposer qu’une lecture triviale et isolée d’un segment de la motivation et lui permettre de plastronner les poncifs moult fois servis, alors que l’arbitre lui-même, auteur dudit raisonnement, n’en tient pas compte dans le dispositif qui sanctuarise pourtant la décision. C’est à minima de la malhonnêteté. Il n’empêche c’est très grave car sa parole engage et oblige l’État tchadien. Dans un pays respecté et respectable, cela relève ni plus, ni moins d’un mensonge d’État devant mettre en émoi tous les citoyens et conduire le gouvernement à en tirer les conséquences. Mais au Tchad, il ne se passera rien. Personne n’a jamais demandé de comptes aux acteurs, souvent les mêmes, du fiasco Glencore dont le pays subit et subira encore pour longtemps les affres. Personne ne demandera jamais de comptes aux acteurs, souvent les mêmes, du gouffre financier à venir de la nationalisation cavalière des actifs pétroliers de Doba. Personne ne demandera de comptes, aux acteurs souvent les mêmes, lorsque les personnels de la TPC (ex. Esso) de Doba, perdront leurs acquis et droits sociaux bâtis sur la durée d’une vie de travail, par le fait de prince ou en raison d’une gouvernance qui ne sera que calamiteuse de la compagnie.
Qu’en attendre d’autre d’un régime dont le parlement, haut lieu de débats publics et de délibération nationale, ne trouve pas mieux que de se dénaturer et se saborder par le vote de motions de soutien au gouvernement sur un projet de texte qui lui est soumis et en prélude à son examen en plénière ? Rien.
Qu’en attendre d’autre d’un régime qui organise sans état d’âme, par-devant le ministre de la Justice et le président du Conseil National de Transition (parlement), une cérémonie publique de contrition de victimes de massacres de masse du 20 octobre, demandant pardon à leur bourreau à qui elles adressent, comble d’ignominie, leurs remerciements et reconnaissance ? Rien non plus.
Abdoulaye Mbotaingar
Docteur en droit
Maître de conférences, Université d’Orléans
Membre du centre de recherche juridique Pothier, CRJP, EA 1212
Chargé d’enseignement, Université Paris-Dauphine-Psl