Politique

Manifestations du 20 octobre 2020 : Rsf appelle les autorités à faire la lumière sur les violences subies par le journaliste Service Ngardjelaï

Manifestations du 20 octobre 2020 : Rsf appelle les autorités à faire la lumière sur les violences subies par le journaliste Service Ngardjelaï 1

 Au Tchad, les manifestations du 20 octobre 2022, a occasionné l’arrestation et la détention arbitraire et abusive de nombreuses personnes, parmi lesquels le  journaliste  Service Ngardjelaï, qui a vécu sept mois de calvaire dans la prison de haute sécurité de Koro Toro au nord du pays. Lisons le récit de son calvaire recueilli par Reporters sans frontières (Rsf).

La nuit suivant les manifestations du 20 octobre 2022, Service Ngardjelaï est réveillé par des bruits inquiétants. Plusieurs militaires défoncent son portail et font irruption dans sa résidence située à N’Djaména, la capitale du Tchad.  Le journaliste tombe nez à nez avec un militaire qui le gifle. Malgré avoir indiqué être journaliste pour la chaîne Toumai Tv, proche du pouvoir en place, il est arrêté et, avec 15 autres personnes, ligoté au milieu de la cour et copieusement frappé à coups de bâtons et de fouets.

S’ensuit un périple de 72 heures d’une violence inouïe. Jeté à l’intérieur d’un véhicule militaire « comme des sacs » avec les autres prisonniers, Service Ngardjelaï est conduit à l’école communale d’Abena dans le 7ème arrondissement de la ville de Ndjamena . Placé dans une salle de classe transformée en cellule, le professionnel de l’information dit avoir entendu les militaires exécuter plusieurs personnes dans la cour, dans laquelle il est lui-même frappé.

Le lendemain soir, emmené avec le groupe par les militaire qui « écrasaient leurs cigarettes sur les corps des prisonniers », Service se retrouve au bord du lac Tchad, dans un endroit isolé.  « Les militaires s’apprêtaient à exécuter les prisonniers, mais finalement ils ont baissé leurs armes à l’approche de civils dans le secteur. Ils nous ont ensuite emmené au  commissariat central de N’Djaména, où ils on promit de nous libérer, avant de prendre la direction du nord », relate-t-il.

Au cours du voyage vers le nord du pays,  où plusieurs personnes ont perdu la vie par manque de vivres, le journaliste souligne que,  les militaires « obligeaient les prisonniers à prendre les corps des morts et à les jeter dans le sable ». Le dimanche 23 octobre 2022, le convoi de prisonniers arrivent à la prison de Koro Toro. Dans cette bâtisse située en plein milieu du désert et isolée de tous moyens de communication, ou les violences gratuites, régulièrement dénoncées par les organisations internationales, y sont quotidiennes, Service Ngardjelaï restera détenu sept mois. Fers de 12 kg aux pieds et nourriture empoisonnée.

Durant sept mois, le journaliste sera emprisonné arbitrairement dans des conditions inhumaines et sera soumis aux travaux forcés. Le professionnel de l’information est régulièrement battu par les militaires. Si certains de ses geôliers se montrent un peu plus cléments au regard de son statut de journaliste, d’autres, au contraire, redoublent de violence à son égard.  «On dormait à même le sol, et on était entre vingt et trente personnes par cellule. En cas de refus, les militaires attachaient des fers de 12 à 16 kilos à nos pieds. Ils étaient tellement serrés qu’ils provoquaient des plaies, qui pouvaient ensuite s’infecter », raconte-t-il. Blessé à la côte gauche, au bras droit, et à la colonne vertébrale, Service assure avoir,« vomi du sang ».

Dans la nourriture qui leur ait servi, le journaliste dit avoir retrouvé toutes sortes d’objets tels que, du sable, des lames de rasoirs, des tiges ou encore de piles électriques…

Début novembre, quelques jours après son arrestation, une commission judiciaire, un officier de police et un juge l’auditionnent.  Service Ngardjelaï est poursuivi pour attroupement non autorisé, destructions de biens, incendies volontaires, troubles à l’ordre public.  Le 2 décembre, le procès de 401 prisonniers de Koro Toro s’achève, mais lui n’est pas jugé. Quelques jours plus tard, sans qu’il en ait connaissance, une ordonnance de non-lieu est prononcée à son égard. Les  autorités n’ont, « rien trouvé de convaincant ».  Le journaliste aurait dû être libéré immédiatement. Pourtant, il ne sera averti de cette décision que le 7 mai 2023.

Ce jour-là, une commission débarque en prison pour juger les prévenus. Service y croise deux amis avocats, qui l’interrogent sur sa présence en détention alors que son nom ne figure pas sur leur liste des prévenus. Service les informe, qu’il a été auditionné six mois plus tôt. Les avocats retrouvent alors l’ordonnance datant de décembre. Le 12 mai 2023, après sept mois de calvaire, le journaliste sort finalement de prison. Pendant cinq mois, les autorités tchadiennes auraient « omis», de lui signifier cette décision de remise en liberté…

Pour Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de Rsf, qui appelle les autorités à faire la lumière sur les allégations de torture et les conditions de la détention arbitraire et abusive de Service Ngardjelaï,  Les traitements subis par Service Ngardjelaï depuis son arrestation jusqu’à sa détention dans la prison de Koro Toro sont absolument intolérables. «  Ce journaliste n’aurait jamais dû être arrêté, et sa détention était illégale. Qui sait ce qu’il serait advenu s’il n’avait pas croisé des avocats qui le connaissaient ? Les violences et l’acharnement contre les journalistes sont perpétrés dans l’impunité la plus totale au Tchad », déclare-t-il .

Un mois et demi après sa libération, le journaliste Service Ngardjelaï porte encore les stigmates de son séjour en prison. Le journaliste souffre de douleurs intenses au niveau de la colonne vertébrale et bouge difficilement ses bras et ses doigts. Ses traumatismes sont également psychologiques. Il estime, en outre, être suivi et observé depuis sa libération, notamment par des personnes à bord de voitures aux vitres teintées.