Opinion

Transition politique au Tchad : leçons et perspectives

Transition politique au Tchad : leçons et perspectives 1

Après la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle du 6 mai 2024, puis l’investiture du nouveau président élu, Mahamat Idriss Déby Itno, l’organisation des élections législatives, provinciales et locales du 29 décembre 2024 fut un pas supplémentaire dans le processus de retour à l’ordre constitutionnel. L’installation, ce mardi 4 février 2025, des députés de la quatrième législature en est une parfaite illustration dans ce processus entamé en avril 2021, suite au décès du président Idriss Déby Itno.

 Rappel contextuel

Il faut d’emblée relever le contexte dans lequel se sont tenues les différentes consultations électorales nécessaires à la mise en place de l’architecture institutionnelle du pays, tel que recommandé par le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), du 20 août au 8 octobre 2022, à N’Djaména.

En effet, à la différence des soubresauts parfois dramatiques dont le pays a été le théâtre pendant et après cette concertation nationale – les tragiques événements du 20 octobre 2022 et l’assassinat, fin février 2024, de Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières –, toutes les séquences de consolidation du processus démocratique qui ont suivi se sont déroulées dans le calme et le respect de la cohésion sociale en dépit des ratés constatés.

Étape importante

Avec les élections législatives, locales et provinciales du 29 décembre 2024, le Tchad vient de franchir une étape politique importante pour au moins deux raisons :

La première raison tient à l’implémentation de la séparation des pouvoirs. Les institutions issues de la Transition souffraient toutes d’un déficit de légitimité démocratique, car elles ont été mises en place dans une conjoncture singulière et une situation d’exception. Elles émanaient d’une charte dont l’adoption aura été décidée dans une conjoncture similaire. Le référendum constitutionnel du 17 décembre 2023 et l’élection présidentielle du 6 mai 2025 ont amorcé une dynamique de mise en place d’un ordre véritablement démocratique à travers le test indispensable de la consultation populaire.

La nouvelle Assemblée nationale, installée le 4 février 2025, remplace le Conseil national de transition (CNT) et vient donner sens à la nécessaire séparation des pouvoirs qui constitue le socle de toute société politique démocratique.

Évidemment, certains pourraient rétorquer que la configuration de la nouvelle Assemblée nationale étant acquise à l’exécutif, on ne pourrait conclure à proprement parler à une séparation des pouvoirs.

C’est ici qu’il y a lieu de relever le second argument qui justifie l’importance des récentes élections législatives pour la démocratie tchadienne. Un député n’est pas seulement l’élu d’une formation politique, mais de la nation. Il a un mandat impératif, national. À ce titre, il est le porte-voix de tout citoyen et assume cette fonction républicaine du fait de l’aura qui entoure sa légitimité. Sa fonction n’est pas réductible à l’examen ou au vote mécanique des textes de loi qui lui sont soumis par l’exécutif. Sa proximité avec le peuple, dans la diversité de ses sensibilités politiques et de ses composantes sociales, lui permet de relayer vers le pouvoir central des aspirations ou des demandes légitimes que ne perçoivent pas toujours les technocrates du pouvoir central.

Analyse de la configuration de la nouvelle Assemblée nationale

La configuration de la nouvelle Assemblée nationale appelle également des observations non moins importantes.

Le Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti au pouvoir depuis 1990, sort renforcé de ces élections avec 124 élus sur 188 et 52 sièges pour ses alliés. Le parti que dirige à présent Mahamat Idriss Déby Itno obtient une confortable majorité qui lui permettra de mettre en œuvre son programme de gouvernement pour lequel son chef a été élu. Cette large domination du MPS l’oblige donc envers le peuple tchadien.

Les attentes légitimes et nombreuses de ce peuple envers la nouvelle majorité parlementaire devraient être satisfaites au moins en majorité dès lors qu’il existe une nette convergence de vues entre le législatif et l’exécutif.

Par conséquent, c’est sur le terrain des réalisations que ces députés, au terme de leur mandat, sont attendus par leurs électeurs pour l’incontournable reddition des comptes, y compris ceux qui ne leur ont pas apporté leurs suffrages.

Par ailleurs, les mêmes résultats révèlent un net recul des forces d’opposition sous Idriss Déby Itno et notamment l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) de l’ancien Premier ministre et actuel Médiateur de la République, Saleh Kebzabo. Le parti de l’ancien chef de file de l’opposition, et l’un des principaux soutiens de Mahamat Idriss Déby Itno lors de la présidentielle du 6 mai 2024, n’obtient que huit sièges, à peine ce qui est requis pour constituer un groupe parlementaire.

Le Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT-Le Réveil) de l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké est crédité de douze députés, faisant de son parti la première force de l’opposition politique à qui reviendra le titre de chef de file de l’opposition prévu par les textes de la République.

Autre avancée, la future Assemblée nationale comptera 64 femmes sur les 188 députés, soit 34 % contre 29 députés en 2011, soit 15,4 % lors de la troisième législature. La première législature comptait deux femmes, soit 1 %. 9 femmes sur 155 siégeaient lors de la deuxième législature, soit 5,8 %).

Ce taux de représentation est largement au-dessus du quota de 30 % accordé par le gouvernement à la gent féminine tchadienne en vertu de l’ordonnance 012/PR/2012 du 22 mai 2018, instituant la parité dans les fonctions électives et nominatives en République du Tchad.

Au-delà des réalités arithmétiques de ce scrutin législatif, il faut se réjouir de ce que la contestation des résultats auprès de l’instance régalienne chargée de la proclamation définitive des résultats – le Conseil constitutionnel – ait eu lieu dans le respect des principes républicains. Plus de deux cents recours ont été portés devant la juridiction suprême responsable du contentieux des élections et dirigée par l’avocat Jean-Bernard Padaré qui a occupé plusieurs prestigieuses fonctions politiques sous Déby-père et fils. La quasi-totalité de ces recours ont été rejetés pour cause de vice de forme.

Émergence du Tchad et démocratie apaisée

Cette atmosphère électorale globale est un jalon important vers l’émergence au Tchad d’une démocratie apaisée. Dans ce même esprit, il sera important dans l’intérêt supérieur du pays que la nouvelle majorité soit ouverte aux propositions constructives de l’opposition ou associée sur des préoccupations d’intérêt national, son capital humain. Le même esprit d’ouverture doit prévaloir en direction de la société civile et de la diaspora tchadienne qui regorgent d’idées utiles pour l’édification du Tchad et de valeurs humaines précieuses.

Les prochaines élections sénatoriales du 25 février 2025 viendront clore le processus de Transition. Il y a lieu d’espérer qu’elles se dérouleront dans le même esprit de saine émulation et de confrontation programmatique républicaine, afin que les uns et les autres retroussent les manches pour se mettre résolument au service du peuple tchadien. Les défis à relever sont colossaux.

Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne)