Opinion

Hama et la diagonale de l’entrave au pluralisme de l’information

Un concours Lépine de l’anachronisme, de la caricature et du burlesque ; tel semble le crédo de des pouvoirs publics tchadiens. La décision n° 55 de la Haute Autorité des Médias et de l’Audiovisuel (HAMA) du 4 décembre 2024 qui en substance, interdit à la presse en ligne toute production audiovisuelle en est un morceau de choix.

Principe des dispositions spéciales dérogeant aux dispositions générales

« Il est interdit aux organes de presse de publier et/ou de diffuser des contenus non originaux pour lesquels ils ne sont pas autorisés » dixit la HAMA. Cette décision dont la motivation confuse, entretient l’illusion qu’elle vise les médias tous vecteurs confondus, est d’abord, discriminatoire car elle n’a, à la vérité, pour seule cible que la presse en ligne comme le prouvent non seulement son dispositif qui évoque « organes de presse » et non le vocable global de « médias », mais également, les nombreuses déclarations publiques du président de la HAMA, attestant de la hargne contre les médias en ligne. Ensuite, elle ne peut survivre au filtre du contrôle légal, pour cause d’excès de pouvoir manifeste au regard à la fois de la légalité externe et de la légalité interne. En effet, elle souffre d’un défaut de légalité externe pour confusion de motifs et pour incompétence, mais elle souffre également d’un défaut de légalité interne, notamment en ce qu’elle manque de base légale et viole de surcroît le principe de proportionnalité. Sans entrer dans des détails de l’argumentaire juridique des griefs dont les avocats de l’Association des Médias en Ligne du Tchad (AMET) auront tout loisir de développer dans leurs recours et plaidoiries devant le juge administratif, il convient simplement de relever quelques points.

La loi n° 31 du 3 décembre 2018, confusément visée par la HAMA dans la motivation de sa décision, consacre des dispositions légales spéciales, applicables à la « la presse écrite et des médias électroniques ». Dès lors, son application ne peut souffrir la concurrence de tout autre texte légal en vertu du principe « spéciala generalibus derogant », autrement dit, les lois spéciales priment sur les lois de portée générale. Or cette loi dite 31, dispose en son article 25, alinéa 3, 2e , de manière, expressis verbis que « le service de presse en ligne offre un contenu utilisant essentiellement le mode écrit et audiovisuel, faisant l’objet d’un renouvellement régulier, daté et non pas seulement de mises à jour ponctuelles et partielles ». Il en résulte clairement que la loi 31 autorise les médias en ligne à produire des contenus audiovisuels. Dès lors, d’où tient la HAMA que les médias en ligne ne peuvent pas produire des contenus audiovisuels tels que les podcastes et les vidéos, si ce n’est de son imaginaire fertilement rétrograde ? Elle n’est pourtant pas investie d’un pouvoir discrétionnaire. Par ailleurs, outre le seul agrément de médias en ligne, la loi 31 ne soumet, nulle part et dans aucune de ses dispositions les entreprises de presse en ligne, à une autorisation complémentaire ou secondaire d’exploitation destinée à couvrir leur production audiovisuelle. Qui plus est, les dispositions de l’article 8 de la loi n° 020/PR/2018 du 10 janvier 2018 sur lesquelles se fonde la HAMA et qui prescrivent l’exigence d’une autorisation d’exploitation pour les productions audiovisuelles, sont inapplicables aux médias en lignes pour deux raisons : la première, cette loi ne vise que les médias demandant leur agrément en qualité de chaine de télévision ou de radiodiffusion comme l’indique formellement sa dénomination. La seconde raison procède de l’antériorité de cette loi à la loi 31du 3 décembre 2018. Or, la seconde déroge à la première. Cherchez l’erreur !

S’il est dans l’intention de la HAMA d’interdire aux médias en ligne, de faire de la production audiovisuelle, qu’elle fasse au préalable modifier la loi 31 par l’Assemblée nationale ou par une ordonnance du gouvernement . Faute quoi, elle ajouterait à l’irrationalité économique, l’arbitraire juridique.

Par ailleurs, quelle est la logique rationnelle d’interdire la production audiovisuelle aux médias en ligne, dirigés par des professionnels, responsables devant la HAMA et la justice et sur lesquels la HAMA dispose et exerce un pouvoir disciplinaire plein et effectif, et les chaines telegram, YouTube, les comptes Facebook, X, etc, qui produisent parfois, si ce n’est souvent, le pire des contenus audiovisuels et sur lesquels la HAMA est à la fois techniquement, juridiquement et administrativement impuissante ?

Théorie de l’accessoire suivant le principal

Par ailleurs, à supposer par extraordinaire que la loi 31 n’autorise à la presse en ligne que la production écrite (ce qui n’est pas le cas) ; une telle restriction du champ d’activités ne saurait pourtant davantage interdire juridiquement à celle-ci de faire de l’audiovisuelle. En effet, il est un adage du répertoire juridique latin que les étudiants de première année de droit, maîtrisent parfaitement de leur cours d’introduction au droit : il s’agit de l’adage « accessorium sequitur principale » ; traduction, « l’accessoire suit le principal ». La théorie de l’accessoire qui trouve des terrains d’élection aussi bien en droit privé qu’en droit public, repose sur l’idée que les droits et obligations accessoires sont liés à un droit ou une obligation principale et suivent son sort, à une double condition : d’une part, l’existence d’un lien de connexité ou de complémentarité entre le principal et l’accessoire et d’une part, le volume ou la proportion de l’accessoire doit demeurer moindre au regard de celui du principal. Ainsi par exemple dans le domaine des professions intellectuelles libérales : les avocats dont l’activité principale consiste dans la représentation, l’assistance et le conseil juridique aux clients font accessoirement de la rédaction d’actes qui relèvent pourtant du monopole des notaires. Les notaires à leur tour, font du conseil aux clients accessoirement à leur activité de rédactions d’actes alors que le conseil est du ressort des avocats. Les experts-comptables qui fournissent des prestations comptables, financières et fiscales, font accessoirement du conseil juridique et parfois de la rédaction d’actes qui relèvent des professions juridiques. Ainsi donc, sur le seul fondement de la théorie de l’accessoire, les médias en ligne peuvent logiquement et sans autorisation d’exploitation, publier les versions audiovisuelles des articles, reportages, éditoriaux, tribunes et même les rushs et making of des interviews qu’ils publient ou réalisent à condition que la proportion demeure raisonnable par rapport à la production écrite dès lors que la connexité ou de complémentarité ne souffrent contestation.

Internet est un vecteur de média globale

Au-delà de l’aspect juridique, il semble échapper à la HAMA qu’Internet, par la digitalisation, a provoqué une révolution copernicienne de l’activité et de la production médiatiques. Cet outil permet à la télé de faire à la fois de la radio et de la presse écrite ; à la radio de faire à la fois de la télé et de la presse écrite et à la presse écrite de faire à la fois de la télé et de la radio et avec un seul et même agrément ou autorisation d’exploitation. C’est le sens de la marche et de l’HISTOIRE. Internet offre aux journalistes d’infinies facultés d’activité médiatique globale et renouvelle au demeurant les fondamentaux de la formation académique et du métier de journaliste. Fini la radio à papa, fini la télé à papa, fini la presse écrite à papa. Tous les régulateurs de médias du monde s’y sont faits à l’exception peut-être de celui de la République de la Corée du Nord. Le Tchad souhaiterait-il jouer aux derniers des Mohicans avec la Corée du Nord à moins de vivre dans l’univers parallèle du scénario du film « Good Bye Lenin » ?

En effet, à l’ère d’Internet, les anciens vecteurs hertziens de diffusion que sont les ondes électromagnétiques, radioélectriques (ondes courtes ou longues, FM), ou encore, le câble et le satellite sont encore certes opérationnels, mais ne seront pas l’avenir des véhicules médiatiques. L’avenir est aux télés en ligne, aux radios en ligne et à la presse en ligne. D’ailleurs le modèle économique des médias classiques n’est plus viable sans la digitalisation, permettant d’offrir à la fois le papier et le numérique, le direct et le podcastes ou la vidéo et le film à la demande, la diffusion hertzienne, la TNT ou le satellitaire et le streaming, etc.

Croisade du Président de la HAMA contre les médias en ligne

Dans ses propos publics, le président de la HAMA dans une espèce de croisade contre les médias en ligne, invoque pêle-mêle la dangerosité de l’internet et reproche aux acteurs des médias en ligne, leur vicissitude. Par un raisonnement par l’absurde, il peut lui être objecté que certes Internet est dangereux, mais il l’est autant que l’eau, la pluie, le feu, la voiture ou l’avion qui sont pourtant indispensables. Quant-à la vicissitude des acteurs des médias en ligne, consistant dans la pratique d’une tarification des interviews et de portraits ; c’est une pratique qui ne grandit pas le métier et qui plus est, contrarie l’éthique et la déontologie journalistique. Mais pourquoi seulement mettre à l’index les acteurs des seuls médias en ligne dès lors qu’il est de notoriété publique que sans un « gombo » substantiel, y compris des services de l’État, ministres et consorts DG et hauts commis de l’État, aucun reportage, portrait, documentaire n’est diffusable sur les chaines publiques de l’ONAMA pourtant financées ou subventionnées par le denier public ?

Le président de la HAMA exige un traitement nuancé et équilibré de l’information par les rédactions de la presse en ligne, mais lui-même n’en a pas dans son expression publique à leur égard. Sauf son respect, sa phraséologie empreinte de morgue à l’égard de ceux-ci, est de celle du lexique de l’école des cadres de l’UNIR sous Hissein HABRÉ . L’ONAMA qui sert, du réveil au coucher, le moindre fait partisan du Président de la République et du MPS, semble pourtant échapper à l’autorité de sa juridiction.

Régulation n’est pas synonyme de prohibition

Il faut croire que dans la sémiologie de la HAMA, le vocable « régulation » s’entend de la prohibition ou de l’interdiction. Car en effet, comment expliquer, à défaut de justifier, l’interdiction des émissions radiophoniques et télévisuelles interactives en période électorale ; période par essence et excellence du débat public et du vif intérêt du public pour la question politique et les offres inhérentes des partis et regroupements politiques ? Quand ailleurs, les médias, tous supports confondus adoptent des dispositifs spéciaux avec des émissions interactives pour confronter le personnel politique aux citoyens et leur quotidien sans filtre, au Tchad, c’est tout l’inverse. Non seulement la HAMA suspend les émissions interactives existantes, mais pire, elle interdit les rediffusions des émissions interactives pendant cette période. À croire qu’elle juge indigne d’intérêt, l’opinion des citoyens dont le suffrage est pourtant, semble-t-il, disputé par les parties politiques et leurs candidats ?

La HAMA est investie d’un pouvoir disciplinaire à l’égard des hommes et femmes, et des entreprises de médias. Il lui revient de constater les infractions individuelles à la loi, à l’éthique et à la déontologie du métier et de les prévenir et, en cas de persistance ou de récidive, de les réprimer avec l’éventail de sanctions à sa disposition en fonction de la gravité de l’atteinte et aux troubles. Chercher la facilité d’une interdiction de portée générale, procède non seulement de l’arbitraire, mais surtout de la paresse intellectuelle doublée de l’incompétence si ce n’est de l’indignité de sa charge de régulateur public.

Orléans le 16 décembre 2024

Abdoulaye Mbotaingar

Docteur en droit, maître de conférences à l’université