Politique

Tchad : « la militarisation de l’Etat : un facteur d’instabilité »

Tchad : « la militarisation de l’Etat : un facteur d’instabilité » 1

Dans sa note d’enquête publiée le 25 novembre dernier, Dr Mathieu Mérino, chercheur pour Afrique de l’Ouest/ bande saharo-sahélienne à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM) de Paris, estime que l’armée tchadienne ne présente pas les caractéristiques d’une armée nationale et encore moins celle d’une armée républicaine.

Selon Dr Mathieu Mérino, l’armée tchadienne est regardée de l’extérieur, notamment dans la sous-région sahélienne, comme une force pacificatrice, mais en fait, elle est au centre des difficultés du pays. « Elle est le principal pilier du régime depuis la présidence d’Hissène Habré (1982-1990) et reste aujourd’hui présente dans toutes les strates de la société. Consciente qu’une véritable démocratisation des institutions pourrait lui faire perdre ses privilèges, notamment sur le plan économique, l’armée participe au verrouillage du champ politique et constitue aujourd’hui, avec la corruption de la classe politique tchadienne, l’un des principaux obstacles à toute alternance politique », relève-t-il. « Dans ce contexte, aucun changement ne peut s’envisager sans une refondation de l’armée et, au-delà, sans une reconversion de la classe sociale des « combattants », c’est-à-dire de « ceux qui, au Tchad, vivent par les armes » », ajoute le chercheur.

Dr Mathieu Mérino trouve que l’armée nationale tchadienne (ANT), est utilisée par différents acteurs, politiques et militaires, à la fois comme un instrument de captation du pouvoir mais aussi comme un levier de sa conservation. « Cela explique pourquoi, au fil des années, elle s’est muée en cette force hétéroclite, en perpétuelle mutation au gré des alliances passées par les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pays, et pourquoi sa trajectoire historique est indissociable de la construction de l’État moderne au Tchad », estime Mathieu Mérino. Il affirme que l’armée tchadienne ne présente pas les caractéristiques d’une armée nationale et encore moins celles d’une armée républicaine. « La manière dont elle s’est constituée par le ralliement et l’intégration successifs de différents groupes politico-militaires, sans respect de principes ou de règles bien établis, explique pour partie son hétérogénéité et parfois son indiscipline. L’armée tchadienne manque de cohésion ; elle est organisée sur des bases communautaires. Ainsi, les troupes d’élite sont généralement dirigées par des membres de la communauté des deux derniers présidents (Idriss Déby Itno et Mahamat Idriss Déby), à savoir les Zaghawa. Au-delà, c’est le partenariat Zaghawa-Gorane-Arabe qui verrouille actuellement l’appareil militaire tchadien », affirme-t-il.

Selon Dr Mathieu Mérino, l’ANT est traversée par d’importantes lignes de fracture, dont un fossé entre les troupes d’élite, généralement mieux équipées et bien rémunérées, et le reste des hommes, nettement moins bien considérés par le pouvoir. « Cette inégalité de traitement alimente un fort sentiment d’injustice au sein de l’armée et nourrit d’importantes frustrations. Par ailleurs, le mode de fonctionnement ethnique de l’armée se ressent également en dehors des casernes. Les relations entre l’armée et les citoyens tchadiens sont complexes, voire ambivalentes », fait savoir Dr Mathieu. Il indique que, si l’ANT est le plus souvent perçue comme un garant de la sécurité dans les zones à forte insécurité (régions autour du lac Tchad ou bien encore dans le nord du pays), dans d’autres régions, particulièrement au sud, sa présence est en revanche vécue comme intrusive. « L’armée participe alors objectivement à l’affaiblissement de la cohésion sociale et de l’unité nationale », affirme le chercheur  Dr Mathieu Mérino.

Nadjita Namlengar