La ville de N’Djaména, bâtie par Émile Gentil à l’issue de la bataille de Kousseri, a été implantée sur la rive du fleuve Chari, l’exposant ainsi à des risques récurrents d’inondation. Les bâtisseurs de Fort-Lamy, devenu N’Djaména en 1973, avaient dès le départ intégré le risque d’inondation dans la planification et l’aménagement de la cité : construction de bâtiments sur pilotis, réseau de grands canaux d’évacuation des eaux, fixation de la limite de la ville au niveau du pourtour de la première voie de contournement, etc. En conséquence, le noyau colonial de la cité est à l’abri des inondations. Malheureusement, le relais en matière d’aménagement de la cité-capitale du Tchad n’a pas été assuré dès les indépendances. Le verrou pour l’accès à la capitale a été levé sans pour autant que des terrains viabilisés ne soient produits pour accueillir l’afflux de population. Le premier document de planification, élaboré durant la période coloniale, devenu caduque, n’a pas été mis à jour pour permettre d’orienter l’installation de la population sur les sites les plus propices (la cité se singularise par la présence de sols argileux et de très basses altitudes).
Aussi, la centralisation du secteur de l’aménagement au Tchad a eu pour conséquence l’exclusion des chefs traditionnels, les fameux Boulama, dans la production-vente de terrains à usage d’habitation. En riposte, ces derniers vendent leur domaine sans application de normes d’urbanisme (il n’existe pas de permis de lotir au Tchad), offrant ainsi des terrains contigus les uns aux autres, et plus souvent sur des zones non-aedificandi. En dehors des architectes et des ingénieurs, les autres corps de métiers devant être dans les réflexions en matière d’aménagement et d’urbanisme au Tchad peinent à se constituer en ordres professionnels (géomètres experts, urbanistes, géographes, etc.). Cet état de choses compromet la prise en compte d’une part conséquente des expertises à mobiliser dans les réflexions en cours.
Ainsi, dans la perspective de la libéralisation du secteur de l’aménagement au Tchad, il faudrait que l’État se focalise sur les tâches qu’aucun autre acteur ne peut assumer à sa place : l’édiction des textes de lois et documents de planification et veiller à leur strict respect/application et assurer la viabilisation des espaces destinés à accueillir les différentes activités. Les populations, dont les conditions de traitement devraient être améliorées à travers une politique réaliste de l’emploi, permettant de pratiquer des salaires durables au sens BIT, prendront le relais pour construire des habitations encadrées par des corps de métiers spécialisés.
Au niveau des infrastructures, le relais dans les travaux d’aménagement n’ayant pas été assuré, l’extension de la cité s’est opérée sans prolongement conséquent des réseaux d’assainissement. Malgré l’insuffisance du réseau d’évacuation des eaux, l’incivisme des populations, couplé à la faible couverture du service d’évacuation et de gestion des déchets solides, contribue à les obstruer régulièrement, compromettant ainsi leur bon fonctionnement.
Les travaux de construction, encadrés par un permis de construire, n’incitent pas à l’utilisation des infrastructures vertes pour atténuer les effets du changement climatique, notamment les inondations, mais surtout les îlots de chaleur qui ont fait de nombreux morts silencieux à N’Djaména dernièrement. Le comble est qu’ily a quelques années la commune elle-même a pris un acte pour imposer l’utilisation de pavées systématiquement dans les constructions, renforçant ainsi l’artificialisation des sols dans une cité en proie aux inondations.
Le développement de la ville de N’Djaména ne s’obtiendra jamais par hasard, ce que visiblement cherchent les pouvoirs publics. Vouloir déplacer la capitale N’Djaména pour des raisons géostratégiques relève d’un autre débat. Au plan fonctionnel, comme tout le monde s’en rend compte, N’Djaména est juste profondément malade. Elle a besoin de médecins pour établir un diagnostic profond et proposer des pistes/traitements pour lui permettre de recouvrer la santé. Un document de planification pour la ville de N’Djaména et son aire de rayonnement est ce qu’il faudrait en ce moment. C’est des discussions à mener dans le cadre d’un tel projet que la nécessité de créer une ville nouvelle pourrait être émise et validée techniquement. L’argument mis en avant au niveau politique (l’idée ayant émergé après la visite par les autorités tchadiennes de la nouvelle ville sénégalaise Diamniadio) pour prendre en charge la population additionnelle de la cité dans les 5 à 10 ans est très discutable. Cet état de choses pourrait être réglé par une bonne politique d’aménagement du territoire, permettant de développer les centres urbains secondaires attractifs afin de servir de contrepoids à N’Djaména et sortir de cette situation de réseau urbain macrocéphale.
La ville étant par vocation un espace destiné à accueillir un grand nombre de population, est soumise à une dynamique, qui peut revêtir plusieurs formes, mais c’est son augmentation en volume et en superficie qui nous retient ici. Cette dynamique est sous-tendue par la croissance de la population, ce qui invite au contrôle de l’effectif des populations dans les différents territoires et villes, état de choses qui relève du mandat de l’aménagement du territoire. La ville en tant qu’entité dispose de plusieurs possibilités pour son extension. Le remplissage des vides interstitiels (nombreux terrains viabilisés et bien situés dans nos différentes cités) : où sont leurs propriétaires ? Qu’est-ce qui empêche leur mise en valeur et/ou le retour au domaine ? L’extension nouvelle, autrement dit les fameuses opérations de lotissement qui s’opèrent au gré des responsables sans pour autant que des dispositions techniques minimales soient prises pour assurer la viabilisation (réalisation des équipements : ouvrages d’évacuation des eaux usées, réseaux de desserte en eau et électricité, etc.).
Le problème de N’Djaména est bien plus profond. C’est une ville qui a été bien pensée au début (il suffit de se rendre dans le noyau colonial de la cité pour s’en rendre compte) mais le relais n’a pas été assuré dès les premières heures des indépendances. Le développement d’une ville ne peut jamais s’obtenir par hasard, autrement dit sans qu’une réflexion d’envergure soit menée pour définir les vocations et identifier les axes de développement à explorer. Tout ceci intègre le domaine de la planification qui est l’ultime étape dans l’encadrement d’une cité. N’Djaména est aujourd’hui l’une des rares villes de son envergure à se développer au hasard (sans un document de planification). Les fondements de la planification urbaine ? Diagnostic urbain participatif et inclusif sur toutes les composantes de la ville, définir et préciser des fonctions/vocations de la cité, affectation intelligente de l’usage du foncier en tenant compte des usages déjà observés. À mon avis, le comité en charge de créer la nouvelle ville (qui finalement a été dissoute hier) devrait plutôt avoir pour mandat de proposer la base sous forme de TDR en vue de recruter un bureau d’études crédible pour procéder à l’élaboration d’un Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) pour l’aire urbaine de la cité-capitale N’Djaména.
Les résultats probables sur lesquels va déboucher le SDAU seront de procéder à une restructuration de fond en comble du cadre actuel de la ville de afin d’implanter un réseau fonctionnel d’évacuation des eaux pour l’ensemble de la ville. La ville de Paris est passée par là. Il a fallu du courage aux Français pour responsabiliser le baron Haussmann en vue de mener les grands travaux qui ont permis à la ville de Paris d’être ce qu’elle est aujourd’hui.
Dans cette perspective de planification durable des cités au Tchad, les contextes d’inondations récurrentes, d’îlots de chaleur et d’insécurité alimentaire observés au Tchad invitent à une planification plus intelligente de l’occupation des espaces au Tchad. Dans cette perspective, seuls les sols pauvres devraient être affectés à l’urbanisation (cette dimension devrait être prise en compte dans les réflexions en cours, notamment dans le choix du site de la ville nouvelle) et les sols riches devraient être affectés à l’agriculture (il serait très agréable et bénéfique d’avoir dans nos villes du futur, une alternance entre aires d’habitation et aires de cultures).
N’Djaména a besoin d’une volonté politique plus forte pour assurer sa restructuration profonde sur la base d’un diagnostic sans complaisance.
C’est pourquoi, dans le cadre de nos actions au sein d’une plateforme en ligne, nos réflexions ont abouti à la création de l’OBSERVATOIRE VIRTUEL SUR LES INONDATIONS AU TCHAD (OVIT). L’OVIT, née de la volonté du Groupe Media Visionnaire qui fait dans la communication sociale, se veut être ce cadre de partage d’informations sur les inondations et de propositions concrètes afin d’aider les décideurs à la prise des décisions. L’OVIT est un observatoire indépendant et regroupe des compétences, engagées dans la transformation et l’aménagement de nos villes, principalement de la capitale qui fait face chaque année au surplus des eaux pluviales. Il ne s’agit pas ici de demeurer virtuel, mais de passer du virtuel au réel en normalisant ce cadre, afin d’impacter nos communautés. Cet engament citoyens, de cadres et d’experts tchadiens de divers horizons, entre dans le champ du service à la communauté qui porte sur la responsabilité civique et du rôle que chacun doit jouer pour soutenir et contribuer à l’amélioration du bien-être de nos communautés.
Que Dieu veille sur chaque cité du Tchad et les familles qui s’y trouvent en cette période éprouvante !
Tob-Ro N’Dilbé, Maître de Conférences en Géographie urbaine et urbanisme,
Enseignant-Chercheur-Consultant, Université Adam Barka d’Abéché