Après trois mois d’enquêtes dans la capitale N’Djamena et les villes de Moundou, Mongo, Doba et Koumra, et une cinquantaine de témoignages de rescapés, de familles de victimes et de témoins oculaires, l’Organisation mondiale contre la torture (Omct) et la Ligue tchadienne des droits de l’homme (Ltdh) ont établi que la répression des manifestations du 20 octobre 2022 par les autorités tchadiennes s’est soldée par la mort de 218 personnes, des dizaines de torturés, des centaines de blessés, au moins 40 cas de disparitions et 1300 arrestations.
Dans leur rapport, les deux organisations de droits de l’homme estiment qu’il ne s’agit pas d’une réaction circonstancielle et excessive de la part de forces de l’ordre confrontées à une situation inattendue. « Les autorités avaient connaissance du fait que les organisateurs de la marche avaient prévu de circonvenir aux interdictions, s’attendaient à la présence massive de population dans la rue, et ont organisé et instruit un recours indiscriminé et disproportionné à la force », relèvent-t-elles.
Selon le rapport, le schéma de cette répression s’est organisé en six étapes : « interdiction de la marche et intimidation des organisateurs ; Répression armée des manifestants ; Chasse aux leaders, manifestants dans les maisons situées dans des quartiers perçus comme contestataires, suivie d’arrestations, détention au secret, et transfert dans des centres de détention éloignés ; Recours à la torture, aux exécutions extra-judiciaires et aux disparitions forcées ; Déploiement d’une campagne de communication et médiatique nationale et internationale pour justifier le recours à la force au prétexte d’une insurrection armée ; Organisation de procédures judiciaires expéditives et condamnations des manifestants ».
L’Omct et la Ltdh rapportent que devant l’ambassade des États-Unis, des personnes en civil enturbannées à bord de véhicules à vitres teintées ont rejoint les militaires déjà sur place. « Les forces armées ont ouvert le feu, arrêté et enlevé des manifestants supposés être des adhérents du parti Les Transformateurs. Au moins quatre jeunes, qui avaient barricadé les rues avec des briques, y ont été tués », informent-elles. Pour elles, « cette répression a ciblé les quartiers de la capitale jugés par le pouvoir comme étant des fiefs de l’opposition : Ardepjoubal, Moursal, Chagoua, Abena, Kamnda, Gassi et Walia ».
Climat de terreur depuis le 20 octobre
Le rapport constate que depuis le 20 octobre 2022 un climat de terreur règne dans le pays et a poussé de nombreux leaders de la société civile et des partis politiques à fuir le pays. « De nombreux militants du parti Les Transformateurs dont le leader Succès Masra sont en exil. Les activités de ce parti et de plusieurs autres avaient été suspendues pour trois mois par les autorités. L’avocat du parti Les Transformateurs, Me Mianlengar Pierre, a échappé à un enlèvement par des militaires et vit depuis lors dans la clandestinité. De même, des leaders de la coalition Wakit Tama – un regroupement de partis politiques et d’organisations de la société civile – dont son porte-parole Max Loalngar et Me Koudé, avocat et Président de l’Association libre parole à la jeunesse, vivent cachés et craignent pour leur sécurité », rapporte l’Omct et la Ltdh.
Selon le rapport, de nombreux agents des services administratifs au sein des institutions étatiques ont aussi fait l’objet de menaces et de sanctions pour avoir refusé d’obéir aux ordres dans le cadre des évènements du 20 octobre 2022. « De nombreux témoignages obtenus par la Ltdh concerne des agents ayant donné des informations aux Ong y compris lors des enquêtes judiciaires ayant conduit à ce rapport. C’est le cas de Djedouboum Ngardingabaye, magistrat, conseiller à la Cour Suprême, qui a été révoqué de ses fonctions et a échappé à une tentative d’enlèvement après avoir assisté à une conférence de presse de l’association Aprodec Ngambaye dénonçant les exactions commises par les forces de défense et de sécurité dans la province du Logone. Depuis lors, il vit en clandestinité »,
Nadjita Namlengar