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« Le dialogue qui se profile à l’horizon permet à tout le monde de se remettre en cause »

« Le dialogue qui se profile à l’horizon permet à tout le monde de se remettre en cause » 1

Le National democratic institute (NDI) a effectué une mission d’évaluation du processus de transition en cours au Tchad. M. Dany Ayida, membre de cette mission et Directeur résident de cet institut vient de séjourner à N’Djamena où il a rencontré plusieurs acteurs. Il a accordé une interview à Le Pays sur les conclusions de cette évaluation et les recommandations qui en découlent.

 Quelles sont les principales conclusions de Ndi sur la transition au Tchad ?

Dany Ayida: Nous avons en effet réalisé une évaluation de la transition en cours au Tchad, en partenariat avec nos collègues de IRI (International Republican Institute). Les principales conclusions auxquelles nous sommes parvenus, c’est d’abord de constater que nos partenaires tchadiens sont déterminés à tirer profit de l’opportunité qu’offre cette transition pour s’entendre sur un certain nombre de mécanismes qui vont régir la République du Tchad dans l’avenir. Il est question notamment du dialogue national inclusif qui doit créer les modalités pour un consensus national autour de questions majeures. Le dialogue doit contribuer à la paix, renforcer la cohésion, baliser la voie pour des renformes normatives et institutionnelles et permettre la réconciliation nationale.  Il y a une certaine expectative au sein de la population, et pas mal de défis ; notamment ceux de la communication autour du dialogue et de la confiance entre les acteurs. Il y a aussi des antagonismes entre les protagonistes du jeu politique qui ne sont pas encore résolus.

Selon le rapport, les acteurs n’ont pas le même niveau d’information. En quoi le Ndi peut aider ? Et qu’est-ce que vous recommandez aux autorités de transition ?

D.A : Ce que nous pouvons faire, c’est déjà d’attirer l’attention des acteurs sur la situation. Nous pouvons contribuer à créer un cadre de discussion où les acteurs se font confiance et se parlent pour construire ensemble la démocratie tchadienne. Nous pouvons également avec notre expérience aider à ce que les médias Tchadiens puissent servir de voie de transmission entre la population et les décideurs. Nous avons déjà commencé à travailler avec certaines composantes clés de la société civile tchadiennes, pour les aider à se préparer pour ces assises importantes. Nous appuyons la Plateforme interconfessionnelle du Tchad qui fait un bon travail de mobilisation et d’encadrement des organisations citoyennes en perspective du dialogue, des élections et des prochaines réformes.

Nous recommandons aux autorités de transition de faire en sorte que, outre la communication et l’information du public à renforcer, qu’il y ait une ouverture vis-à-vis des forces politiques et sociales qui sont là. Il est manifeste que le gouvernement de transition prend des précautions pour ne pas rater l’opportunité ; il a lancé un appel pour le soutien de la communauté internationale tout en consentant des sacrifices en vue de maintenir et honorer les responsabilités de l’Etat. Le chaos que l’on redoutait après la disparition subite du Maréchal Idriss Déby Itno ne s’est pas produit. C’est à l’honneur de tout le pays ! Mais il faut aller de l’avant.

Après 30 ans de gestion par un régime politique unique, il y a plusieurs couacs, beaucoup de récriminations et la confiance qui manque chez certaines composantes de la société. Cette méfiance-là, il faut travailler pour la résorber. L’ouverture que les autorités actuelles manifestent, pourrait se renforcer par certaines décisions courageuses. La transition offre des opportunités et tous les Tchadiens veulent dire leur mot. Les citoyens tchadiens de l’extérieur observent et se demandent quel est leur place. Les autres couches de la population qui n’ont pas souvent été impliquées ont des attentes et veulent les exprimer. Ce pays a souvent connu des violences et les séquelles sont encore visibles. Quand nous discutons avec nos partenaires tchadiens, qu’ils soient du gouvernement ou dans l’opposition, nous sentons cet élan d’aller vers un futur partagé et apaisé.

Le dialogue est une étape importante. On attend de savoir quel serait le contenu réel du dialogue, quels seront les acteurs qui seront invités et comment ces derniers seront redevables vis-à-vis de ceux qui ne seront pas dans la salle. Donc il y a toutes ces choses autour desquelles les autorités et les autres acteurs y compris la société civile organisée doivent communiquer, sensibiliser la population et impliquer le maximum d’acteurs, afin d’aller vers un renouveau sur tous les plans.

Un des reproches qu’on fait à la transition, est que les méthodes n’ont en réalité pas changé, les gens ont l’impression d’être dans une continuité. A ce propos, qu’est-ce que vous en dites ?

D.A : Les changements ne sont pas faciles à opérer dans nos contextes africains. Ce n’est d’ailleurs pas plus facile ailleurs ! Vous savez que pendant des décennies, ce sont les mêmes acteurs qui ont dirigé le pays. Il y a encore des incompréhensions et des confrontations entre certains acteurs.  Le dialogue qui se profile à l’horizon permet à tout le monde de se remettre en cause. Au-delà du dialogue et du processus électoral qui doit suivre, il faudrait que les autorités, la classe politique, les différentes parties prenantes pensent à un vrai mécanisme pour solder durablement les contentieux du passé. Je veux parler d’un vrai processus de justice transitionnelle.

Au cours du dialogue, on se dit la vérité. C’est un pilier du mécanisme de justice transitionnelle. La justice est une composante essentielle de l’Etat de droit. A part le dialogue, on définit les modalités en termes de réformes institutionnelles à opérer. Ceux qui sont victimes veulent peut-être des réparations ; il y a aussi d’autres actes symboliques qui vont caractériser la réconciliation. Qu’est-ce qu’il faut faire pour que la confiance renaisse ? Quelles sont les garanties  pour que certains crimes passés ne se répètent plus ?

De notre expérience, il faut une série de mesures, étalées dans le temps. Nous remarquons que les Tchadiens ont envie qu’on les écoute y compris ceux qui sont dans les campagnes, dans les villes, dans la diaspora : les femmes et les hommes qui n’ont pas l’habitude de s’exprimer, mais qui sont attachés à leur pays. Les responsables de la transition ont mis en place des outils pour y arriver. Il y a encore des efforts à consentir : pour le dialogue inclusif, pour des élections démocratiques, et pour des réformes durables. Avec un peu plus d’accompagnement de la part des partenaires du Tchad, nous sommes persuadés que cette transition pourra tenir ses promesses.

 Interview réalisée par Madjiasra Nako