Ce 23 mai, le Tchad célèbre comme les autres pays la journée internationale pour l’élimination de la fistule obstétricale. Infection très grave liée à la grossesse et à l’accouchement, le nombre des cas de fistule obstétricale au pays oscille entre 500 à 1000 par an selon les données 2021 du Programme national de lutte contre la fistule obstétricale.
Au Tchad, seulement une femme sur 50 a accès au traitement de la fistule malgré le progrès de l’État et ses partenaires. Avec l’un des taux d’alphabétisation le plus bas du continent, la fistule obstétricale qui ne cesse de faire des victimes est classée parmi les maladies réputées dangereuses et la plus stigmatisante dans la société tchadienne. Son taux de prévalence est de 2,1% d’après la dernière enquête démographique et de santé ( Mics 2015). « Une femme victime de fistule obstétricale est celle qui a échappé à la mortalité maternelle. La pathologie subsiste dans les pays en voie de développement, dont le Tchad, favorisée par la pauvreté, l’inégalité entre les sexes, le mariage précoce, l’âge maternel, le manque d’éducation, etc. Les femmes qui vivent dans les zones rurales sont les plus exposées à 90%. Jeunes, pauvres et illettrées, elles ont un accès limité aux soins médicaux. Beaucoup d’entre elles n’ont pas recours aux services de traitement, soit parce qu’elles ne savent pas que la fistule peut être guérie, soit parce qu’elles ne peuvent pas honorer le coût de l’opération », informe la gynécologue obstétricienne et coordinatrice du Programme national de lutte contre la fistule obstétricale, Dr Aché Haroun.
En plus des lésions physiques occasionnées par la maladie, les victimes de fistule en viennent souvent à connaître de graves problèmes sociaux, notamment le divorce. Rejetées par leurs maris, leurs familles ou par toute la société, elles sont tenues à l’écart de toutes les activités. C’est le cas de Mingué, âgée de 19 ans et ancienne fistuleuse rencontrée au centre national de fistule de N’Djamena.« C’était il y’a 4 ans. J’étais enceinte et à terme, le jour de l’accouchement faute de moyens pour aller au centre de santé j’ai été assisté par une accoucheuse traditionnelle et malheureusement le bébé est mort né. Quelques semaines après, j’ai remarqué que je souffrait d’une incontinence chronique. J’étais incapable de contrôler l’écoulement de mon urine ou l’excrétion de mes matières fécales. A cause de l’odeur que je dégageait tous le temps, ma famille m’a isolé dans une case et mon mari m’a quitté, me laissant à mon triste sort. Je ne pouvais plus faire mes activités habituelles, je me sentais vraiment isolée et rejetée » , témoigne la jeune fille.
Des centres de traitement de fistule pour éradiquer le fléau
Axée sur trois volets : la prévention par la sensibilisation, le traitement chirurgical et la réinsertion sociale, la prise en charge des femmes atteintes des fistules obstétricales au Tchad a connu un progrès remarquable ces années grâce à l’implication du gouvernement et de ses partenaires. La création d’un centre national de la santé de la reproduction et du traitement des fistules obstétricales à N’Djaména et de quatre autres à l’intérieur du pays a permis depuis 2013 d’opérer gratuitement plus de quatre mille femmes victimes de fistule. Ce qui représente 4% du taux de la prise en charge mondiale. « Au début, les femmes ne connaissaient pas l’existence du traitement de fistule, mais à travers des campagnes de sensibilisation, de nombreuses malades affluent aux centres. Grâce aux campagnes de traitements organisées à Mongo, Moudouba, Sarh et dans les centres nationals de traitement de fistule obstétricale de N’Djamena et d’Abéché, quelques 2573 cas ont été pris en charge entre 2012 et 2020 », déclare le Dr Aché Haroun.
Malgré les efforts, les tabous et les pesanteurs socio-culturels demeurent toujours. « Les victimes de fistule sont souvent négligées, marginalisées et abandonnées par la société. Pour parvenir à réaliser des performances en matière de prévention, de prise en charge et de suivi régulier de la fistule obstétricale jusqu’à son éradication complète, il serait primordial de changer complètement nos mentalités en mettant l’accent sur l’information et l’éducation », précise une infirmière qui renchéri: « il faut une prise de conscience de tout un chacun afin de ne pas stigmatiser les femmes victimes de fistule ».
Au-delà des campagnes de sensibilisation et d’informations pour le changement de comportement, la construction des centres spécialisés dans chaque grande ville du pays afin d’améliore leur conditions reste l’un des défis majeurs de l’Etat.q
Kedai Edith