Dans une lettre adressée au nouveau procureur de la Cour Pénal International, Me Philippe Larochelle, avocat agissant avec quatre organisations de défense des droits de l’homme demande l’ouverture d’un examen préliminaire sur les cas de crimes commis au Tchad.
Après une demande introduite en mai dernier sous la présidence de l’ex-procureur Fatou Ben Suda, Me Philippe Larochelle relance dans une lettre adressée au nouveau Procureur Maître Karim Ahmad Khan sur la situation préoccupante concernant les droits de l’homme au Tchad. « Nous travaillons présentement avec 4 organisations actives en matière de droits de l’homme au Tchad qui nous ont fait parvenir, non sans risques pour elles-mêmes et les victimes qu’elles représentent, une quantité importante de preuves et d’informations démontrant sans l’ombre d’un doute que de nombreux crimes contre l’humanité et crimes de guerre ont été commis au Tchad depuis au moins avril 2020, et continuent d’être commis au moment de la rédaction des présentes », écrit-il.
Selon le conseil qui a fait part de ses inquiétudes sur la question des droits de l’homme au Tchad, les organisations de défense des droits de l’homme qui, la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (Ltdh), la Convention Tchadienne de Défense des Droits de l’Homme (Ctddh) et l’Association Utopie Nord-Sud ont « décrit dans le détail les crimes ayant été commis depuis avril 2020 ». « Les crimes de guerre commis lors de l’opération « Colère de Bohoma » en avril 2020, lancée par l’Armée Nationale Tchadienne (Ant) dans la zone du Lac-Tchad contre des militants de Boko Haram, a donné lieu à de nombreux crimes de guerre impliquant les prisonniers capturés par l’Ant. De nombreux prisonniers sont portés disparus ou ont été torturés, tués ou sommairement jugés par les autorités. Des allégations de viols ont également été rapportés, tel que confirmé par un communiqué du Ministère des Affaires Étrangères du Tchad, qui semble davantage préoccupé par les conséquences que ces viols sont susceptibles d’avoir sur l’image du Tchad auprès de la communauté internationale que par la poursuite des auteurs des crimes de guerre », précise la lettre. L’avocat s’appuie sur le rapport de la Ltdh de juillet 2020 détaillant de nombreux cas d’exécutions sommaires et extra-judiciaires commis dans le cadre de cette attaque.
Me Philippe Larochelle dénonce par ailleurs qu’aucune sanction ou poursuite n’a été prises contre les présumés auteurs. Ce qui, rappelle-t-il, démontre « une absence totale de volonté de punir ces crimes » et favorise « le maintien de l’impunité qui caractérise depuis trop longtemps la commission de tels crimes au Tchad ».
Entre octobre 2020 et avril 2021, poursuit le conseil, « la situation politique du Tchad s’est considérablement dégradée et de nombreux rapports documentent les intimidations et tortures subies par les hommes politiques de l’opposition et les leaders de la société civile. Les partis politiques et leurs militants ont vu la promulgation de règles interdisant les réunions politiques et les marches, les sièges des partis politiques et les domiciles de leurs chefs ont été encerclés, bref, les arrestations de militants pacifiques entre janvier et avril 2021 se sont multipliés et se chiffrent à plusieurs centaines, avec de nombreux blessés graves et des morts par arme à feu ».
Comme toujours, regrette-t-il, « rien n’a été fait pour punir ou sanctionner les auteurs de ces crimes».
S’agissant des crimes de guerre, Me Philippe Larochelle relève la prise du pouvoir par la junte militaire le 20 avril 2021 n’a fait qu’empirer les choses, avec entre autres les disparitions des colonels Youssouf Mahamat Nour, Ahmat Souleyman Issa. « À ces deux cas s’ajoute celui du colonel Mahamat Tahir, arrêté quant à lui dans la nuit du 19 avril, la veille du coup d’état », précise l’avocat qui rapporte que des exactions commises par l’Ant sur les populations de la zone du Kanem au motif qu’elles seraient proches du leader du Fact. « Encore une fois, les autorités tchadiennes n’ont démontré aucune velléité d’enquêter, de punir ou de sanctionner les auteurs des crimes commis dans le cadre du conflit armé contre l’Ant, justifiant d’autant l’ouverture d’une enquête par le Procureur de la Cpi », dénonce-t-il.
La société civile, déjà ulcérée par des années de violence systématiques et d’impunité du régime d’Idriss Déby Itno vit aujourd’hui dans un climat délétère où l’impunité règne déjà en maître que les soldats du Conseil Militaire de transition. « La répression sanglante et systématique des manifestations par les forces de l’ordre et l’armée s’élève au rang de crime contre l’humanité et justifie l’intervention sans délai du Procureur de la CPI, afin qu’une enquête se tienne sur les crimes commis depuis avril 2020 sur le territoire du Tchad. Encore une fois, les nouvelles autorités tchadiennes ont perpétué la tradition d’impunité qui règne dans ce pays et les auteurs de meurtres, de disparitions forcées, d’emprisonnements arbitraires, de torture, de persécution et d’autres actes inhumains commis à l’encontre de la population civile demeurent à ce jour impunis », complète la lettre.
Depuis la prise du pouvoir par la junte militaire, au moins 16 personnes ont été tuées à N’Djamena la capitale et Moundou au sud, des dizaines d’autres blessées et au moins 700 autres arrêtées.
Stanyslas Asnan