La Commission nationale Ohada (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) a réalisé une étude sur la mise en œuvre du droit Ohada au Tchad de juillet 2019 à mars 2020. Au cours de cette entrevue, Miarom Bégoto, président de la commission Ohada du Tchad s’est livré à votre média sur les résultats de cette enquête, ses raisons et enjeux. Interview.
Pourquoi la Commission Ohada du Tchad a initié cette étude et quels en sont les résultats ?
Avec l’apport financier de l’Oif (Organisation internationale de la francophonie), nous avions mené une étude qui porte sur l’effectivité du droit Ohada au Tchad. Comme vous le savez, le Tchad est l’un des pays fondateurs de cette organisation. Depuis la création ce cet organe à caractère juridictionnel, nous nous sommes dits qu’il fallait, en ce qui concerne le Tchad, mener une étude en vue de s’enquérir non seulement de l’état de connaissance mais également d’appropriation decet outil de formation et de travail.
S’agissant des résultats qui en découlent, je ne dirais pas qu’ils sont alarmants, mais d’après les objectifs que nous nous sommes fixés, ces résultats sont un peu satisfaisants. Satisfaisants dans la mesure où toutes les couches que nous avons voulu rencontrer ont été effectivement rencontrées, à savoir les opérateurs économiques, les professionnels de droit, les professionnels de l’audit et de comptabilité, les étudiants et les responsables des établissements d’enseignement supérieur. Ça fait au total 2607 personnes qui ont accepté d’échanger avec nous sur cet exercice. Alors, en conclusion, sur le profil des acteurs, la majorité des personnes enquêtées sont relativement jeunes.Aussi, le niveau de connaissance du droit Ohada varie d’une couche à une autre, mais de façon globale, la quasi-totalité des enquêtés ont estimé que ce droit est non seulement moyennement connu au Tchad mais peu mis en œuvre.
Pourquoi l’étude s’est limitée seulement sur la ville de N’Djaména ?
Cette étude s’est concentrée uniquement sur N’Djaména pour la simple raison que N’Djaména à elle seule renferme près de la moitié des entreprises du pays. Si l’on doit s’en tenir aux statistiques de l’Inseed de 2015, N’Djaména abrite plus de 49% des entreprises du Tchad. En termes d’effectivité, les réponses varient en fonction des couches vers lesquelles nous nous sommes tournés. Mais une chose est sûre, les professionnels du droit et les professionnels de l’audit et de la comptabilité sont les couches qui maitrisent le mieux le droit Ohada. Les opérateurs économiques ont une certaine réticence. Ils estiment qu’en réalité, ce droit n’est pas bien vulgarisé et donc ne leur est pas favorable, ils se demandent à quoi il sert.
C’est ce qui justifie alors la rareté des dossiers relatifs aux affaires dans les tribunaux de commerce ?
Vous allez remarquer qu’il y a un penchant pour les recours non juridictionnels pour les règlements qui touchent aux litiges commerciaux. En clair, les opérateurs économiques préfèrent un règlement à l’amiable plutôt qu’un recours devant les tribunaux de commerce. Peu d’opérateurs économiques sont ceux qui se tournent vers les professionnels de l’audit de la comptabilité et les commissaires aux comptes pour les aider à pouvoir consolider leurs comptes selon les exigences du droit Ohada. D’après l’enquête, la lenteur judiciaire, qui n’est pas d’ailleurs propre au Tchad, la méconnaissance de ce domaine, il s’agit là d’une matière purement technique car ceux qui sont chargés de rendre la justice ne les encouragent pas, eux en tant qu’opérateurs économiques à se tourner vers la justice, constituent la cause principale du désintéressement. Plus de 70% des opérateurs économiques estiment qu’il vaut mieux trouver un règlement à l’amiable plutôt que. de se tourner vers une juridiction. Parce qu’un règlement à l’amiable permet de trouver une solution rapide à leurs conflits plutôt que de s’adresser à une juridiction dont l’issue prendrait du temps ou va être incertaine.
Les acteurs judiciaires ont-ils été enquêtés?
Les professionnels du droit que sont les magistrats, avocats, notaires, huissiers, les autres acteurs tels que les juristes des banques étaient effectivement touchés. Ce qui est à déplorer, c’est que contrairement aux avocats qui s’étaient prêtés au jeu, les magistrats étaient réticents.
Quel est l’enjeu d’une pareille étude ?
Vous voyez, ça fait plus de 25 ans que l’Ohada existe. Le premier enjeu, c’est de vérifier 25 ans après, est-ce que le tchadien, professionnel de droit ou opérateur économique avait déjà entendu parler de l’Ohada. Est-ce que cet outil qui avait pour mission d’assurer une sécurité juridique et judiciaire était bien compris et bien mis en œuvre. Le deuxième objectif est de nous rassurer que cette matière est bien enseignée là où elle devait être enseignée et que le niveau de compréhension, si on prenait un échantillon d’étudiants devrait être le même, quelle que soit la structure d’enseignement.
Que recommanderiez-vous aux différents acteurs pour des améliorations ?
A l’issue de cette étude, nous avons sur la base des discussions et des réponses apportées, tenus à faire des recommandations à l’égard des différents acteurs : gouvernement, commission nationale Ohada elle-même en tant que organe chargé de suivi de la mise en œuvre du droit Ohada, mais également de nos partenaires techniques financiers et enfin à des responsables des établissements des enseignements supérieurs.