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Tchad : plaidoyer pour une presse libre, des élections législatives, communales et provinciales justes

Tchad : plaidoyer pour une presse libre, des élections législatives, communales et provinciales justes 1

Le Tchad poursuit sa marche vers la mise en place des institutions issues du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) qui a eu lieu du 20 août au 8 octobre 2022 à N’Djaména. C’est dans cette dynamique que les Tchadiennes et les Tchadiens ont été appelés aux urnes le 17 décembre 2023, afin de se prononcer sur le nouveau projet de Constitution de la Ve République, et à l’occasion de la dernière élection présidentielle du 6 mai 2024, afin de désigner leur président de la République. Il y a lieu de se réjouir et de relever que ces deux scrutins ont connu une forte participation qui aura conféré à chacun de ceux-ci une réelle légitimité, en dépit des améliorations nécessaires qu’il y a lieu d’effectuer pour l’avenir.

Le rôle crucial de la presse tchadienne

À chacun de ces scrutins, la presse tchadienne, dans la diversité de ses moyens d’information et la pluralité de ses opinions, a été présente pour soutenir le projet de constitution ou émettre des réserves, eet aider à promouvoir  les programmes des candidats à l’élection présidentielle ou relever les insuffisances des uns ou des autres.

Toutefois, il n’a guère été relevé de dérives informationnelles qui auraient pu être considérées comme de nature à fausser les choix politiques des citoyens électeurs ou à dénaturer gravement les projets des différents candidats.

Dans cette arène électorale, les médias tchadiens en ligne ont joué un rôle de premier plan, dans la diversité de leurs positionnements respectifs et de leurs lignes éditoriales.

Mais d’où vient-il que, le 4 décembre 2024, la Haute Autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) du Tchad, dans une sortie officielle, décide de l’interdiction de contenus audiovisuels durant la campagne électorale en cours, à l’occasion des élections législatives, municipales et provinciales du 29 décembre prochain ?

En réponse à cette censure préventive d’un autre âge et inappropriée, dans une société qui se veut démocratique et bien plus en période électorale, les médias en ligne tchadiens ont décidé de suspendre la diffusion de leurs contenus depuis quelques jours.

Trois observations cruciales

La décision de la HAMA appelle des observations qui sont à la fois d’ordre juridique et politique et qui relèvent de la sociologie de la communication politique.

Au plan national, cette décision est manifestement inconstitutionnelle, car elle contrevient à la loi no 31/PR/2018 du 3 décembre 2018 qui, en ses articles 2 et 3, stipule :

Article 2 : La liberté d’expression et d’opinion par tout moyen de communication est reconnue à tout citoyen. Le droit à l’information est un droit reconnu par la constitution du Tchad.

La liberté d’expression et d’opinion et le droit à l’information s’exercent dans le respect des valeurs culturelles nationales, de l’ordre public et de la vie privée des citoyens.

Article 3 : La presse écrite, l’imprimerie et la presse en ligne sont libres, sous réserve des textes en vigueur au Tchad.

Il y a par ailleurs lieu de se demander si la Haute Autorité des médias et de l’audiovisuel a juridiquement compétence pour exercer une censure à titre préventif sur les médias. Comment peut-on censurer une information qui n’est pas encore produite ni diffusée ? Cette décision nous rappelle l’instauration, en 2008, de la censure préalable après l’assaut rebelle sur la capitale tchadienne.

Mais, au-delà de cette réserve sur laquelle les juristes compétents pourraient se prononcer, cette interdiction de la HAMA contrevient aux textes internationaux ratifiés par l’État du Tchad, textes qu’il n’est pas superflu de rappeler ici, du moins pour les plus importants et qui s’imposent à tous les États, en inspirant leurs lois fondamentales.

Tout d’abord, la Déclaration universelle des droits de l’homme stipule :

Article 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit.

Article 21 : La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret, ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote.

Le préambule de l’Union africaine, dans sa Déclaration de principe sur la liberté d’expression en Afrique, énonce :

« La liberté d’expression et d’information, y compris le droit de chercher, de recevoir et de communiquer des informations et idées de toutes sortes, oralement, par écrit ou par impression, sous forme artistique ou sous toute autre forme de communication, y compris à travers les frontières, est un droit fondamental et inaliénable et un élément indispensable de la démocratie. »

« Tout individu doit avoir une chance égale pour exercer le droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information, sans discrimination aucune. »

Au plan politique, la décision de la HAMA restreint considérablement les conditions nécessaires pour une élection juste et inclusive. L’inclusion implique la possibilité et le droit pour les candidats de s’adresser librement à leurs électeurs, ainsi que la possibilité et le droit pour les électeurs de prendre librement connaissance des programmes des candidats et de se prononcer en connaissance de cause au moment du vote.

Comment les candidats pourraient-ils mener des actions de persuasion envers les électeurs s’ils n’ont pour seuls supports de communication qu’une presse audiovisuelle muette ? La même question vaut pour les électeurs. Or, il faut rappeler que les élections législatives, municipales et provinciales sont d’une importance décisive pour le Tchad. En effet, les prochains élus sont au plus près des populations. Ils servent de courroie de transmission entre l’État central et le citoyen conformément au processus de décentralisation en cours.

Il est donc de la plus haute importance pour le citoyen électeur de désigner son représentant en connaissance de cause. Mais comment le ferait-il lorsqu’il n’a de son programme qu’une connaissance approximative ou parcellaire ?

C’est dire que la décision de la Haute Autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) est de nature à vider de sa signification et de sa substance le concept politique de représentation qui est le socle même d’une société démocratique.

C’est en ce sens que s’est prononcé le Comité des droits de l’homme des Nations unies, notamment sur l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) sur la liberté d’expression et d’information, le 12 septembre 2011 : « La libre communication d’informations et d’idées sur les questions publiques et politiques entre citoyens, candidats et représentants élus est essentielle. Cela implique une presse libre et d’autres médias capables de commenter des questions publiques sans censure ni modération et d’informer l’opinion publique. Le public a aussi un droit correspondant. »

Enfin, cette décision est une aberration au regard des canons actuels de la sociologie de la communication politique. Elle contrevient à l’air du temps et est complètement décalée par rapport aux pratiques de notre époque en matière de communication politique. Elle peut être considérée à juste titre comme relevant d’un autre âge, au sens où l’entendent les chercheurs Marie Neihouser, Julien Boyadjian, Anaïs Theviot, dans un article intitulé Campagnes électorales et numériques : regards croisés à l’international, de la Revue internationale de politique comparée, de l’année 2022 : « Au-delà de leurs audiences très élevées, en particulier chez les jeunes, les plateformes numériques présentent plusieurs caractéristiques sociotechniques intéressantes pour les acteurs politiques en campagne. Elles permettent notamment aux candidats de communiquer directement auprès de leurs électeurs et, plus largement, auprès de l’ensemble des utilisateurs des plateformes, sans passer par l’intermédiaire – et sans être dépendants – des agences de presse (Reuters, AFP, etc.) et des médias traditionnels. Cette possibilité d’instaurer une communication directe intéresse en premier lieu les acteurs politiques qui s’estiment sous-représentés, voire censurés, dans les médias traditionnels. »

Pour conclure, nous estimons que l’heure doit être à l’apaisement, dans l’intérêt supérieur du Tchad. Nous sommes parvenus au terme d’un long processus électoral qui, jusqu’ici, s’est déroulé dans la sérénité, l’inclusion et la juste confrontation des programmes. Tous les acteurs politiques comme de la société civile ont joué leur partition afin que nous y parvenions. La Haute autorité des médias et de l’audiovisuel (HAMA) doit également jouer la sienne.

Éric Topona Mocnga, journaliste au programme Afrique de la Deutsche Welle (Allemagne).